Assise sur le sol glacé, les coudes sur le parquet et la tête posé sur ses mains fines et froides, elle le fixait de ses grands yeux vides, inlassablement, presque léthargique. Il était recroquevillé dans le fauteuil de velours rouge du grand salon familial. Implacable, tandis que sa sœur qui grattait la peinture qui s'écaillait, s'évertuait à lui faire lever les yeux de son maudis livre. Il était si proche d'elle, à un mètre tout au plus. Et pourtant elle savait que même s'il était physiquement bien présent, son esprit était ailleurs. Et à en juger par la couverture de l'œuvre qu'il lisait, il était avec Lady Windermere.
« Quel idiot tu fais. Lire une pièce de théâtre ! »
« Tu ne sais pas ce que tu dis petite sotte ! Et tais-toi, j'essaie de lire ! »
« Et alors ? Tu n'en es pas moins idiot ! »
Il arqua un sourcil et elle sut alors que c'était gagné. Ils se regardèrent alors, tous deux, se demandant qui allait céder le premier, et surtout qui allait gagner. Tout en plongeant son regard vif dans celui de son frère, son esprit s'emballait. Elle réfléchissait à ce qu'elle pouvait faire, à ce qu'elle allait sûrement faire, à ce qu'elle ne devrait surtout pas faire … Avec le temps elle avait durement appris que l'improvisation n'était pas son ami. Elle était plus frêle et plus petit que lui, alors elle se devait de toujours avoir une longueur d'avance. Le silence était tombé depuis quelques minutes maintenant. On entendit le bruit d'un oiseau au dehors. Profitant d'un hypothétique manque d'attention de l'autre, il ferma son livre violemment et sauta sur sa sœur qui était déjà debout, à l'autre bout de la pièce, prête à combattre.
« Tu as peur de moi ? »
« Peur de toi ? Tu me ferais presque rire ! Et si tu approchais qu'on voit ce que tu vaux ? » répondit-elle armée d'un sourire narquois.
Sans se faire prier, et toucher à son égo, il avança, assurant chacun de ses pas. Elle prit alors son élan et, sans prévenir, lui sauta dessus, l'obligeant à sombrer par terre. Il lui attrapa les cheveux, elle se mit à geindre en enfonçant le plus fort qu'elle le pouvait ses ongles dans les bras et le dos de son frère. Elle savait bien que ne pas se ronger les ongles l'avantagerait un jour ou l'autre. Puis vint un moment d'inatention pendant lequel elle regarda la montre accroché au poignet de son frère qu'elle aurait bien brisé si elle en avait eu l'occasion. Elle posa ses lèvre sur le coin de la bouche de son adversaire et il comprit que c'était terminé. Elle se dégagea de son entreinte, attrapa un sac qui jonchait le sol et, d'un pas pressé, elle partit en direction de la porte d'entrée.
« Je retourne en cours, bon après-midi. »
« Hum, toi aussi. Tu rentres immédiatement après les cours. »
Ce n'était pas une question.
« A tout à l'heure ! » dit-elle en claquant la porte dans son empressement.